René Madelin, Général (1868-1940)


Amédée Madelin et Marie Bonnet engendrent treize enfants. Cinq d'entre eux,  Jeanne, Marguerite, Bernard, Albert, Charles, sont morts;  les deux filles dans l’adolescence, les trois garçons en bas âge. Comme l’atteste le faire-part mortuaire de Marie, parmi les survivants, aussi brillants les uns que les autres, quatre garçons ont connu de très belles carrières. Jules, inspecteur général des Eaux et Forêts ; René général de division ; Louis, membre de l’Académie française ; Léon, commandant d’infanterie, tué pendant la Première Guerre mondiale. Sur les quatre filles, Noémi – l’aînée depuis la disparition de Jean en 1878 - est restée célibataire, confidente de son père ; Elizabeth s’est mariée à André Lesort, conservateur à la Bibliothèque nationale ; Geneviève a épousé Henri Zeller héritier d’importants tissages dans la vallée de la Doller en Alsace ; Lucie a épousé un Saint-Cyrien, militaire de carrière, Jean Quillard.


Naissance en 1868

René Madelin est né le 10 octobre 1868  à Luneville.


Les quatre frères reçoivent une éducation stricte, dispensée exclusivement dans des collèges religieux. La chronique de Noémi Madelin, sa soeur, précise : 
"En octobre 1875 à Bar le Duc, Jules et René sont admis dans collège créé en quelque sorte exprès pour eux, l’école Fénelon. Elle fut fondée à précisément à cette époque. Le couple Madelin y prit presque autant de part que le véritable directeur, l’Abbé Gouvain, un prêtre tenu par les hagiographes familiaux comme « plein d’audace, de zèle et surtout de sainteté ».  En tous cas les quatre élèves du nom de Madelin qui passèrent entre ses mains lui procurèrent la plus sûre des réclames, si ce mot n’est pas trop vulgaire. Plus tard, lorsqu’ils entrèrent dans les grandes écoles ou dans les hautes études littéraires, on put juger mieux encore à quel point ils faisaient honneur à leurs premiers éducateurs.  Ce qui primait tout le reste dans l’esprit de mes parents était l’éducation de leurs enfants. L’ère des baccalauréats s’était ouverte par celui de Jules en 1882. Ils se succédèrent d’année en année, le succès immédiat répondant presque toujours à l’effort et s’augmentant même souvent de mentions". René passe ses "bachots" et quitte l'école Fénelon de Bar le duc  où , dit-il " l'on apprenait surtout la discipline et le travail plus que la science" 


Les mémoires de René Madelin 1888-1913 

René laisse une trace de sa vie sous forme de mémoires rédigées durant l’hiver 1939-1940 sur sa jeunesse.

Reproduction du manuscrit de Souvenirs de René Madelin rédigé en 1939-1940 (Vieux papiers de famille)
Lorsqu'il écrit ses manuscrits, il est  atteint d’un cancer à un stade avancé, il est déjà paralysé mais sa main reste remarquablement ferme. Ce texte a été probablement commencé pendant la deuxième guerre mondiale, alors qu’il séjournait à la Bonleuvre, la propriété d’Indre-et-Loire qu’il avait acquise près de Château-Renault lorsqu’il a pris sa retraite. Ces mémoires s’étalent de son concours d’entrée à Saint-Cyr jusqu’à la fin de 1913. Le verbe haut, la dent souvent dure, il explique comment et pourquoi il a choisi la carrière des armes. Un début de carrière qu’il n’a au demeurant guère apprécié. Malheureusement ce texte s’arrête à 1913, on ne saura rien de ses sentiments quant à son service pendant la première guerre mondiale qu’il a terminée comme Général de division.

Le choix de l'Armée

Dans ses mémoires, il s'interroge sur les raisons qui l'ont amené à suivre cette voie. En effet, ses parents ne l'ont pas poussé car ils étaient plutôt en faveur de la magistrature et du barreau. Son grand-père était négociant et se faisait gloire d'avoir été élu Président du Tribunal de commerce et mon grand père maternel, inscrit au barreau de Paris, était le fils du grand avocat Bonnet, défenseur du général Moreau, Vice Président de la Chambre de Louis XVIII qui passait pour la plus grande notoriété de la famille. Dans cette famille, on connaissait peu l'Armée. Pourtant, il avait en lui le souvenir d'un aïeul maternel le Commandant Desnoyers de la Garde impériale, qui avait perdu un bras à Leipzig et qui après avoir été refoulé comme brigand de la Loire par la Restauration, avait été finalement rappelé et affecté comme Administrateur à l'Ecole polytechnique. Il avait été entretenu dans ce culte par sa grand-mère. 
Amédée n'était pas autoritaire et , selon son fils, il accepta les choix de René. En 1887, René quitte le foyer familial afin de préparer l'école militaire de  Saint Cyr, au sein du cours préparatoire à Saint Sigisbert à Nancy sous la direction de l'abbé Jérome. 


Admis à Saint Cyr en 1888

Il est admis à Saint Cyr, au rang de 108 ème en octobre 1888 et intègre l'école le 2 novembre 1888 à 20 ans. Il souhaite rapidement ne plus être à la charge de ses parents. Il avait un jugement mitigé sur ses camarades  de Saint Cyr. "Quoique la plus grande masse de mes camarades appartint à d'excellentes familles, la fine fleur de la grande bourgeoisie française, je les trouvais dans l'ensemble assez vulgaires"  . Dès sa sortie de l'école,  il  commence sa carrière militaire en qualité de sous-lieutenant au 11ème bataillon de Chasseurs à pied, ou Chasseurs alpins.  

Fiançailles avec Jeanne de Sainte-Marie

En 1894 René se fiance, à Arcueil avec Jeanne de Sainte Marie, descendante du Général Pourrat, commandant de l'Ecole polytechnique de 1878 à 1880.  René, sous-lieutenant de Chasseurs à pied tient garnison à Courbevoie. René est reçu à l’école de guerre en 1897 et  à Paris, nait son troisième enfant.
En 1902, René est capitaine, il est affecté à l’état-major de la 17° division d’infanterie à Châteauroux. L'état major est installé à l'Hôtel Bertrand actuellement Musée de la ville de Châteauroux.
Le capitaine René Madelin
Officier de l'Etat Major de la 17ème Division d'Infanterie
Châteauroux 1903 (Archives familiales)
Il ne tient d’ailleurs pas particulièrement à ce poste. Il écrit :
"J'avoue que cette décision me contraria; j'avais espéré rester à PARIS jusqu'à l'hiver et peut-être y trouver une situation de titulaire; mais je fus victime de la bonne opinion du colonel Daru à mon égard. Le général Bourjat, commandant la 17ème division ayant besoin d'un capitaine à son E.M., le colonel Daru lui avait vanté, assez mal à propos, mes mérites […] La ville de Chateauroux ne me séduisit pas. Elle avait l'aspect d'un grand village et au fond elle n'était pas autre chose; située au centre de la riche province agricole du Berry, elle était le centre de très importants marchés de céréales, de bestiaux et de volailles. Son avantage principal était d'ailleurs la facilité et le bon marché de sa vie alimentaire. Sans avoir beaucoup à chercher, je trouvai une bonne maison, assez grande avec un jardin et située en face du jardin public. Le propriétaire qui était le coiffeur le plus en vue de la petite ville consentit à des aménagements qui rendirent cette maison commode. J'avais besoin en effet de pas mal de place; car pendant mon séjour à Tours, notre famille s'était encore augmentée de deux unités: Anne-Marie née au début et Etienne à la fin de notre résidence tourangelle. Il y avait une petite école de prêtres, l'école Léon XIII, qui pour les débuts des deux ainés Jean et Bernard, était parfaitement suffisante. L'organisation de la vie familiale s'annonçait donc bien[…]." 

Comme tout au long de ses mémoires, René n’y va pas de main morte dans ses jugements professionnels. Sa description des officiers qui l’entourent à l’état-major donne une idée précise de ce qu’était l’Armée française au début du XX° siècle. On est déjà loin du désastre de Sedan, et dans ce cœurs de la France, d’une strict point de vue militaire les soldats ne sont pas très occupés. 

"Au point de vue militaire, je trouvai ma tâche assez rapetissée. Le travail d'un E.M.(Etat Major) de Division manque d'intérêt : c'est d'abord un E.M. très restreint comme personnel. Je me trouvais en tête à tête avec mon chef d'E.M. et un officier d'administration puis l'officier d'ordonnance du Général qui travaillait au Q.G.(quartier Général) et que nous ne voyons à notre bureau que par intermittence. Le Chef d'E.M. – le commandant de Bréban - était un brave homme un peu lourd, bureaucrate dans l'âme, méticuleux et grognon; c'était une pauvre société. Sa femme avait tout l'extérieur d'une vieille fille dévote; ils n'avaient pas d'enfants et quand on allait chez eux on trouvait tous les meubles de l'appartement couverts de housses et de journaux; en excluant la poussière on faisait l'économie d'une femme de ménage, ce qui comptait certainement, car ce couple qui inspirait l'ennui, paraissait d'une avarice sordide." 

En ce début 1903, René rencontre de grandes épreuves. "Tout d'abord notre dernière petite fille Anne-Marie, qui était née peu avant notre arrivée à Tours, tomba brusquement malade et nous fut enlevée en quelques jours d'une méningite que j'ai toujours attribuée à une chute qu'elle avait faite dans sa petite voiture. Ce fut pour nous un immense chagrin; l'enfant était charmante, fort jolie, très éveillée et gracieuse. A quelques mois de là au mois de Janvier 1903, nous fûmes un peu consolés par la naissance du petit Antoine qui vint au monde superbe malgré les conditions qui avaient précédé sa naissance. La vie reprenait un peu quand une malheureuse chute de cheval dans laquelle ma jambe fut prise dans le poids de ma monture me condamna à l'immobilité et à des soins. Au mois d'Août j'emmenai toute ma famille à Lourdes pour demander à la Vierge sa protection sur nos enfants. Mais hélas! elle devait pour ce prix me demander un bien affreux sacrificeAu mois d'octobre ma pauvre femme subit un accident qui se compliqua très vite et malgré tous les efforts des médecins elle succomba en quelques jours. Je ne veux incriminer personne, mais j'ai toujours pensé qu'il avait été commis par son médecin une grave erreur qui ne fut pas réparable!..." 

Selon nos déductions, Jeanne Madelin-de Sainte-Marie a été victime d’une péritonite, peut-être consécutive à une grossesse extra utérine. Quelque soit la cause, voici René veuf à trente-cinq ans, seul en charge pour élever ses six enfants. A cette époque, incasable ! René est alors Capitaine d’infanterie en garnison à Chateauroux et  c'est le 11 octobre 1903 qu'il perd sa femme Jeanne, née de Sainte-Marie. Agée de 31 ans, mère de huit enfants, dont deux décédés en bas âge. Elle est victime d’une péritonite infectieuse foudroyante peut-être due à une grossesse extra utérine. Elle est enterrée au cimetière de Neuville aux Bois dans le Loiret.

Noémi écrit "Jeanne, la vaillante mère de famille qui avait donné le jour à 8 enfants, dont 2 étaient partis pour le ciel, fut terrassée par un mal soudain et eut à réaliser le sacrifice de sa vie. Son mari fut aussi héroïque qu’elle. Ce sont de ces instants qui échappent à la compréhension humaine et que Dieu seul peut diriger et exiger. Ce fut un coup terrible pour mes parents; ils souffraient pour eux-mêmes, pour leur fils et pour les 6 pauvres petits enfants. C’était un poids bien lourd dans leur vie déjà si éprouvée." 

Carnets de René : "De ce jour, il me semble que ma vie allait évoluer vers les voies les plus néfastes. Je me trouvais seul à la tête de 6 jeunes enfants et, malgré que je fusse [tenté] d'abandonner ma profession, obligé de continuer à servir pour conserver les ressources nécessaires à leur éducation. Ce fut peut-être mon salut et aussi la grâce en la Foi qui, en ces jours, s'affermit en moi plus solidement comme le seul recours contre le désespoir-et plus tard Dieu vint à mon secours en récompensant mon courage par une très grande grâce qui me permit de reprendre mon chemin. Je repris mon service, mais quoique j'aie trouvé dans des amis compatissants et dans ma famille de précieux encouragements, je ne cessais de contempler avec affliction ces enfants confiés à des mains mercenaires de souffrir en silence de ma solitude et de mon abandon moral! Je commençais d'ailleurs à m'éloigner de Châteauroux, où je n'avais que de tristes souvenirs désormais; comme j'avais à faire mon temps de commandement comme capitaine, je demandai à le faire dans l'Est soit au 2ème bataillon de Chasseurs à Lunéville soit au 37ème R.I. à Nancy où je pensais avoir de bonnes ressources d'éducation pour mes garçons. 

Le 25 décembre 1904 René est affecté à Nancy. Moins de deux ans après son veuvage, on lui présente Henriette Clavery, fille d’un diplomate. Elle accepte la « tâche de rendre le bonheur à un époux et de remplacer la mère des six enfants qui en étaient privés ». Toute la famille nombreuse habite et Le Vésinet et à Paris un appartement, rue de Milan. Le mariage est célébré à l’église de la Sainte Trinité le 7 février 1907. La cérémonie précède de peu une nouvelle affectation, pour un état-major à Orléans. Il loge avec sa nombreuse famille dans une balle maison du Carré Saint-Vincent qui a échappé par miracle à la rénovation totale du quartier. En 1913, encore un déménagement, direction cette fois Rouen, à l’état-major du 3° corps d’armée. A la maison, le climat est curieux. Les aînés, en particulier Laure, battent froid à leur belle-mère – petite Maman – à laquelle ils ne pardonnent pas d’avoir pris la place de Jeanne. Et le cœur de René qui est fou amoureux de sa deuxième épouse : il reprend avec entrain son entreprise de procréation. Troix nouveaux enfants en cinq ans : de 1908 à 1913, Marie-Marthe, Monique et Emmanuel. La Première guerre mondiale coupe court à cette fougue. 

La première guerre mondiale  

Dès 1914, René Madelin participe de très près à la guerre. Officier d’état-major il est appelé à connaître tous les fronts, gravissant les échelons de la hiérarchie. Le 10 juillet 1914, René Madelin prend les armes à la garnison de Rouen et est affecté devant le front. Le 14 juillet 1914, en qualité de Chef de bataillon d'Infanterie, René Madelin, de l'Etat major du 3ème corps d'armée est nommé Chevalier de la Légion d'Honneur
Diplôme de la Légion d'Honneur du Chef de bataillon René Madelin 12/07/1914 (Archives Légion d'Honneur)
Mais, comme beaucoup d’autres familles en ce temps terrifiant, il est frappé en 1915, avec la mort en combat aérien de son fils aîné Jean. Polytechnicien, lieutenant d’artillerie passé dans l’aviation, il est navigant observateur. Par conséquent très exposé puisqu’à l’époque ce membre d’équipage siège dans le nez de l’avion. Il est tué à coups de fusils par un adversaire allemand, l’avion tombe, le pilote est également tué. Le lieu de sépulture de Jean ne sera retrouvé qu’après la guerre, dans un village de Flandres vérifier, à Moreuil. Avec difficulté car il a été inhumé sous le nom de Sébastien Madelin. 

Pour autant, René ne s’oppose pas à l’engagement de son fils Bernard,mon grand-père, en 1915, alors qu’il n’a pas dix-huit ans, âge minimum requis. Les premières années, la plupart du temps loin du Front, René mène une guerre sans éclat particulier, jusqu’à se voir confier au printemps 1918 le commandement de la 28° division d’infanterie, alors stationnée en Alsace.


27 septembre 1918 PC Fourtière de la 28ème division Bataille de Picardie (Archives familiales)


28 octobre 1918 -  Le commandant René Madelin à la Bataille de Château Porcien (Archives familiales)



Le Mont Kemmel

Cette nomination va le conduire à la gloire. La gloire d’une victoire réelle contre les troupes allemandes en Flandres belges, au Mont Kemmel, en Flandresen avril 1918. A cette date, la guerre est encore loin d’être gagnée, les armées allemandes restent puissantes, elles tentent au cours de nombreuses et meurtrières offensives d’enfoncer les fronts alliés tenus par des forces hétéroclites, françaises, britanniques, australiennes, canadiennes, portugaises… La coordination entre les grandes unités n’est pas toujours exemplaire. Les stratèges allemands tentent d’exploiter cette faiblesse en attaquant les articulations entre corps alliés. C’est le cas en Belgique, où les Britanniques épuisés sont prêts de céder. Un verrou tient : le « Mont Kemmel », en vérité une grosse colline abrupte de 159 mètres qui domine la plaine, à quelques kilomètres au sud d’Ypres. Le « point culminant » des Monts de Flandres. Le seul point haut à des kilomètres à la ronde, excellent point d’observation, bas d’artillerie. L’éminence est disputée avec acharnement depuis des années. 
Pour tenir cette position, à l’initiative du général Foch, le Haut commandement allié a décidé la relève des Britanniques par une unité française. Or le général allemand Lüdendorf a pour objectif de lancer sa IV° armée afin d’enfoncer un coin entre l’armée française et les troupes du corps expéditionnaire britannique en enlevant cette hauteur « stratégique ». Le but final était de prendre à revers les Britanniques et de lancer la course à la mer. Cette entreprise est tellement importante que le Kronprinz – l’héritier de l’Empereur allemand – vient sur place pour assister en personne à l’assaut. Une victoire qui semble à portée de main. C’est sans compter avec les Alpins de la 28° division d’infanterie amenés d’urgence d’Alsace, et de leur chef, le général René Madelin


Avril 1918 - Général René Madelin 28ème Division
Philippe Madelin, son petit fils, raconte : "Arrivée de la division sur le terrain du 14 au 16 avril, elle est forte de 12 000 hommes, des Dauphinois et des Savoyards. L’engagement est aussitôt d’une violence inouïe. Artillerie lourde, gaz de combat, aviation. Emploi massif des mitrailleuses. Les troupes allemandes piétinent, la résistance des Français est farouche, mais leurs pertes sont terribles : du 17 au 25 avril, sur 12 000 soldats, la division perd 131 officiers et 5 249 hommes, dont 4000 pour la seule matinée du 25 avril. C’est l’assaut ultime, précédé par une préparation d’artillerie puissante mais brève. Emploi massif des gaz. Heureusement pour les Français, l’interrogatoire de prisonniers allemands permet de prévoir le coup et en particulier de se prémunir contre les gaz de combat. Les Français cèdent bientôt du terrain. Le soir du 25 avril, ils se replient. Exsangue, la 28° division doit finalement se retirer. Mais, surprise, les Allemands ne suivent pas. En effet les assaillants ont été encore plus décimés que les défenseurs, ils n’ont plus la capacité pour repartir à l’assaut. Et ils ne retrouveront jamais cette capacité jusqu’à la fin de la guerre, sept mois plus tard.. Pour la première fois, l’emploi massif des mitrailleuses contre les vagues d’assaillants se révèle décisif. Plus décisif encore que les bombardements d’artillerie. L’affaire du Mont Kemmel est ce que l’on appelle en jargon militaire une « victoire défensive »." Selon Christian Madelin, à l’automne 1940 René ne cessait d’évoquer l’horreur vécue dans les tranchées. Il montrait volontiers à ses petits enfants un souvenir précieux pour lui : c’était un petit réveil de poche, gris , tout râpé. Il proclamait qu’il ne s’en séparait jamais et qu’il l’avait gardé sur lui pendant toutes les batailles de la « grande guerre ». René Madelin finit la guerre comme Général de division. 

Général René Madelin avril 1918
Comme Général vainqueur,  il participe au défilé de la Victoire qui passe sous l’Arc de Triomphe. Sa fin de carrière est paisible.  René reçoit de belles affectations. La plus prestigieuse est le 1er mai 1920 celle de commandant supérieur du groupe fortifié de Savoie et commandant le groupe de subdivisions d’Annecy et Chambéry.


Château des Ducs de Savoie

Ainsi le descendant du petit colporteur savoyard descendu de ses montagnes moins de deux siècles plus tôt est revenu « au pays » comme grand chef militaire. Il réside au château des Ducs de Savoie à Chambéry. 

Château des Ducs de Savoie 

Il y donne des fêtes. Au cours de l’une d’entre elles, Bernard Madelin mon père qui vient d’entrer à Saint-Cyr remarque une très belle jeune femme blonde. Plus réservée que timide. Cœur d’artichaut comme son père il tombe fou amoureux de cette Lorraine, Odile Delafon, elle-même fille d’une officier de cavalerie. Elle n’est guère enchantée de se voir courtisée par cet officier : on fait trop d’enfants chez les Madelin. On vous racontera cette histoire au chapitre suivant. 

En novembre 1925, René reçoit le commandement de la 19° division d’infanterie. Avant d’être affecté le 25 juin 1927 avec le grade de Général de Division de la 19ème Division d'Infanterie et placé à l’état-major général de l’armée. Il est promu au grade de Commandeur le 6 juillet 1929. 


Etat des services militaires de René Madelin (Source Légion d'honneur)
René a choisi de se retirer dans une propriété qu’il à achetée à Château-Renault, dans l’Indre-et-Loire, la Bonleuvre. Le vieux général est toujours actif, il édite une revue nationaliste, La France. Mais sa santé est mauvaise, il commence à ressentir les atteintes d’une maladie qui va le paralyser. Notre grand-père était paralysé du bas du corps ; il passait ses journées à lire et à écrire dans une pièce du rez-de-chaussée ; sa chambre était au premier étage et tous les soirs et matins mon père le transportait dans ses bras pour franchir l’escalier. Bien qu’il soit gâté par sa femme Henriette Clavery dont il est toujours aussi amoureux, ses dernières années sont plus que pénibles. Elle était avec son époux d’un dévouement admirable et elle était pleine de gentillesse pour ses « petits-enfants ». C’était une personne d’une grande distinction qui avait fait de son mieux pour élever les enfants du premier mariage, mais les plus âgés supportaient mal qu’elle ait en quelque sorte supplanté leur mère Jeanne de Sainte-Marie décédée si jeune et si tragiquement. 

Christian Madelin décrit les dernières semaines de René : Après deux séjours chez son fils Etienne à Saumur, la panique provoquée par l’invasion allemande et l’exode de 1940 jète René sur les routes. René Madelin et son épouse accompagnés d‘une domestique firent en 1940 deux séjours dans notre maison de Saumur. En juin [1940] dans les circonstances dramatiques de la débâcle, ils étaient arrivés avec leur auto, une traction avant, je crois, [conduite par leur bonne Rosa], qui les accompagna dans leur étonnante épopée vers le Sud-Ouest. 

René Madelin a écrit un récit pris sur le vif de leur fuite devant l’ennemi qui pour ainsi dire les talonnait. 
Nos grands-parents ont séjourné chez nous à Saumur depuis Pâques jusqu’à l’exode de juin 1940. Ils étaient accompagnés par leur bonne Rosa qui était aussi le chauffeur de leur auto. Ils devaient revenir en septembre-octobre 1940, pendant plusieurs semaines. Nos parents qui avaient déjà une lourde maisonnée ont assumé avec beaucoup de dévouement la charge de loger et d’entretenir trois personnes de plus dont notre grand-père invalide. 
Lui était dans un fauteuil roulant et on le promenait sur le chemin qui bordait l’Ecole de cavalerie où les Allemands étaient installés. René disait que les officiers qu’il croisait le saluaient avec respect en voyant son insigne de commandeur de la Légion d’honneur. 

Décédé durant l’hiver 1940-41 

Le 10 décembre 1940, Etienne – son fils – va rendre visite à son père à la Bonleuvre. Il le trouve au plus mal, il écrit à ma mère Odile Madelin afin de la tenir au courantL'état de Papa s'est subitement aggravé dans la nuit de Dimanche à Lundi et il a été pris d'étouffement, pendant que sa paralysie faisait des progrès foudroyants. Je l'ai trouvé ce matin en arrivant, très affaibli, ayant du mal à parler et depuis même il ne peut plus prononcer un mot. C'est vous dire notre inquiétude d'autant que le médecin devant ces progrès si rapides, ne laisse guère d'espoir, même dans une rémission momentanée et il faut s'attendre maintenant au pire très rapidement. […] Ce qui rend plus pénible sa fin, c'est qu'il doit se voir s'éteindre peu à peu , sans pouvoir exprimer quoi que ce soit. 
René décède à Château-Renault en Indre et Loire le 11 décembre 1940.

Lettre d'Odile Madelin à son époux, Bernard Madelin (13 novembre 1940)
Mercredi matin, Étienne, votre Mère et moi avons lu des feuillets renfermant les dernières volontés de votre Père et dont je prendrai copie: elles sont de 1938. Les obsèques ont été arrêtées pour demain 14 (Décembre) à Château Renault.  Malheureusement on n'a pu obtenir des Allemands la pose du drapeau tricolore sur le cercueil. Seules les décorations, le képi et le fanion, et évidemment tout ce qui aurait été dû à votre Père en tant que général ne peut lui être donné, c'est très pénible. Dans la nuit de Mercredi à Jeudi, Étienne a veillé jusqu'à 3 h et moi ensuite, votre Mère ayant un besoin intense de repos. Vous devinez tout ce que tout cela pouvait remuer en moi de souvenirs malgré la différence d'âge et je pense sans cesse à notre enfant et à vous. La pauvre Laure n'est arrivée qu'hier à midi, la dépêche ayant mis près de 24 h à la toucher. Maintenant nous sommes là tous trois avec votre Mère et laissons le moins possible votre papa seul, mais comme c'est triste d'être si peu et de vous sentir tous au loin. Je fais venir Jean aujourd'hui. Nous nous sentons tous les trois dans la même union qui a toujours été entre nous et je suis si touchée envers votre frère et votre soeur de me traiter comme leur véritable soeur. Ils sont très bons. Votre mère est très calme, assez anxieuse de savoir ce qu'elle fera, bien affligée naturellement, très confiante avec nous.

Lors des obsèques de René Madelin, son cercueil était recouvert d’un fanion tricolore sur lequel était posé le képi de Général.

En vérité, on peut soutenir sans mal que la défaite de 1940 a porté le coup de grâce au Général qui ne peut oublier d’avoir défilé en vainqueur sous l’Arc de Triomphe, en juillet 1919. 


Défilé du 14 juillet 1919

Mariage d'Odile Delafon et Bernard Madelin en 1922

Les longues réflexions d'Odile

Odile et Bernard

La rencontre

La question que se posent tous les enfants et petits enfants sur leurs grand-parents est sans doute : Comment se sont-ils rencontrés ? 

Philippe Madelin, le fils d'Odile Delafon et de Bernard Madelin, pense que les réceptions , données par le Général René Madelin, le père de Bernard, sont le lieu de la rencontre entre ses parents.

Château des Ducs de Savoie - Commandé par le Général René Madelin
En effet, Le Général Madelin, marié avec Jeanne de Sainte Marie, commandait et occupait avec sa famille le Château des ducs de Savoie demeure grandiose dont dépendait une ravissante chapelle. Ce fut là que fut célébré le mariage de sa fille Laure avec Jean COMON, ingénieur aux usines à gaz de Genevilliers. Il fut béni par l’archevêque de Chambéry. Ces réceptions voient venir Odile avec sa mère. Odile Delafon est la fille d'Emily Boilletot de Bémont et du Colonel Etienne Delafon. On peut rappeler que René Madelin et Etienne Delafon étaient de la même promotion de Saint Cyr la 73ème dite du « Grand Triomphe ». Philippe raconte "Odile est heureuse de retrouver des jeunes filles. Laure qui a déjà 24 ans l’impressionne peut être un peu, mais toutes deux sont des jeunes filles cultivées et mûries." Laure Madelin est la soeur de Bernard. Odile, à Orléans a obtenu son Brevet et a toujours été en tête de sa classe au Cours du Bourdon Blanc. Elle a bénéficié de nombreux cours particuliers, sans parler du contact avec sa mère elle-même très cultivée. Marie Marthe Madelin (1908-1988) et Monique Madelin (1910-1961), les soeurs de Laure  sont plus jeunes, encore des adolescentes. Et puis de temps à autre il y a les garçons qui sans doute se plaisent à faire danser cette jeune fille réservée et souriante.

"C’est sans doute lors de l’un de ces bals au Château, vers la fin de 1920 ou le début de 1921, que Bernard qui achève sa formation d’officier, en permission chez ses parents remarque cette très jolie jeune fille aux longs cheveux blonds, au si beau sourire. Bernard Madelin est un homme de 24 ans, plutôt réservé, s’exprimant peu. C’est un homme que son éducation et les événements de plusieurs années de guerre ont rendu plutôt sérieux. Il doit lui sembler temps de fonder un foyer. On peut penser qu’il a parlé de cette jeune fille à son Père ou même à sa Belle mère, et qu’il l’a revue à quelques reprises mais dans le cadre de réceptions. Odile lui plait et il connaît sa famille, et probablement son frère François. Comment s’est réalisée la proposition d’un mariage. C’est difficile à savoir. Mais on peut le reconstituer." Notes Philippe Madelin

Le rôle de l'abbé Choquet, futur Evêque de Lourdes


Mais ce qui est évident, d'après les documents familiaux, c’est que Odile hésite, et peut-être sa mère Emily fait-elle preuve de prudence. En tous cas un homme, un prêtre va entrer en jeu. Emily a souvent fréquenté sa cousine Madeleine Aubry, surtout lors de ses séjours à Versailles. Au cours des longues conversations dans le coin du petit salon de l’Avenue Hoche, Madeleine a parlé à sa cousine d’un prêtre éminent, son conseiller spirituel, l’abbé Choquet, missionnaire diocésain de Paris, qui deviendra Evêque de Lourdes. Emily pense le consulter, d’autant plus que Odile se demande si elle n’a pas une vocation religieuse. On s’explique facilement que cette question se soit posée, étant donné l’éducation très religieuse qu’elle a reçu, et sa fidélité à vivre pleinement sa foi chrétienne. L’abbé Choquet a connu Odile à Paris et peut apporter son discernement.

C’est d’abord par une lettre du 9 Juin 1921 que l’abbé répond avec clarté et fermeté, à la description du projet faite par Emily. « Autant que je me rappelle les aptitudes de votre chère enfant et surtout eu égard à ses croyances je ne la crois pas appelée à la vie religieuse, mais plutôt destinée à être une chrétienne parfaite dans le mariage. Faut il la prévenir de ce qu’est le mariage ? Oui mais avec infiniment de délicatesse, en lui montrant comment la volonté de Dieu sait allier le devoir et le plaisir ; en lui montrant aussi combien un ménage chrétien suppose de beauté morale et d’austérité…Quant au projet lui-même, il me semble parfait et j’approuve des deux mains en bénissant la Providence, si la chose se fait. Il y a vraiment toutes les garanties possibles pour que votre chère enfant et le jeune Madelin fassent une famille remarquable. Je ne le connais pas lui-même, mais j’ai fortement apprécié le Général que j’ai eu comme Colonel commandant l’ID de la 130 e division pendant plusieurs mois. Les qualités du fils dont parle votre lettre semblent être un héritage de famille. Au résultat ce projet me semble pouvoir être poussé très à fond et appelé à réussir »

La réflexion se poursuit. Une visite est prévue à Paris chez la tante Madeleine Aubry pour quelques jours. « Nous étudierions définitivement cette angoisse de la chère enfant. A priori cependant et de loin, je ne crois pas, aux signes que vous m’indiquez, qu’il y ait une vraie vocation. Et je maintiens toute l’approbation que je donne à ce projet de mariage. Plus j’y pense, plus il me parait souhaitable pour les deux jeunes gens » A la suite de cette visite et des échanges qui ont eu lieu, un peu plus tard l’abbé Choquet écrit directement à Odile.

La lettre suivante est intéressante pour montrer quelle est alors la spiritualité du mariage chrétien. Nous sommes au mois de Juillet. « Bravo, l’idée du mariage ne vous fait pas peur. C’est un service de Dieu. En fille de militaire vous ne devez pas avoir peur d’un service commandé. D’autant que la sacrement vous donnera les grâces nécessaires. Tout le reste est accessoire. Les gens mariés me dîtes vous sont souvent quelconques. Il ne tient qu’à vous d’être une femme supérieure et de fonder une très belle famille. La vie libre vous parait à certaines heures plus agréables que la servitude du mariage ? Qu’importe cela. Nous ne sommes pas sur terre pour uniquement faire ce qu’il nous plait, seulement pour y faire ce que Dieu veut de nous. Ici ou là, cela ne fait rien, l’essentiel est d’être dans l’ordre. Donc beaucoup de courage et pas d’appréhension. Ce qu’il faut c’est bien choisir votre mari. Mais il me semble bien que celui qu’on vous propose a les qualités nécessaires et peut vraiment vous rendre heureuse en vous permettant de faire une vie vraiment utile. Continuez à prier et Dieu fera en vous la lumière » C’était une belle « préparation au mariage »….

La demande officielle en Mariage

Le 18 Juillet 1921, Bernard, alors encore à l’Ecole de Saint Cyr, écrit au Colonel Delafon , père d'Odile, une véritable demande en mariage : « Mon Colonel, j’ai su par mon Père l’accueil si bienveillant que vous avez bien voulu faire aux confidences dont je l’avais chargé d’être l’interprète auprès de vous. Je ne puis me contraindre d’attendre plus longtemps pour vous exprimer toute ma reconnaissance que j’ai pour vous et pour Madame Delafon, je voudrais déjà pouvoir dire la gratitude filiale et l’espoir que je caresse si passionnément pouvait se réaliser. Depuis si longtemps qu’est née en moi l’ambition de demander à Mademoiselle Odile de partager ma vie. Sans cesse j’ai son image devant les yeux et dans le cœur l’appel vers le bonheur qu’elle détient pour moi dans ses mains. Puisse-t-elle combler mes vœux et croire ce que je sens si fermement en moi, l’assurance qu’en lui consacrant ma vie, je lui donnerai le bonheur... Peut être ai-je eu tort de n’avoir pas su lui exprimer mes sentiments dans les occasions où je me trouvais tout entier sous le charme de sa présence, mais pour contenus qu’ils étaient pas moins ardents... Puisque vous voulez bien me permettre de rencontrer Mademoiselle Odile pendant les vacances, permettez moi de vous remercier de la si heureuse fortune que vous voulez bien m’offrir et qui me remplit d’une joie profonde. Hélas ! J’ai encore de trop longs jours à patienter. Le « pékin » n’aura pas lieu avant le 23 Août, le « vieux bahut » ouvre ses portes bien tard cette année et je ne serai donc libre que dans les derniers jours du mois d’Août. Que le temps va me paraître long d’ici là ! Puisse mon bonheur en sortant de cette chère rencontre me faire oublier ces jours d’anxieuse attente. Soyez je vous prie mon interprète auprès de Mademoiselle votre fille pour lui exprimer les sentiments dont mon cœur est tout plein pour elle. Veuillez transmettre à Madame Delafon l’expression de mes profonds et reconnaissants hommages et agréer, mon Colonel le témoignage de mon entier dévouement, auquel je vous demande la permission d’ajouter celui d’une très vive et très respectueuse affection ».

La décision d'Odile

La rencontre a donc eu lieu en fin du mois d’Août, mais Odile reste indécise. Bernard se « languit » donc d’Odile. Il est venu voir l’abbé Choquet mais ne le trouvant pas « il lui a écrit une lettre très bonne, très délicate, mais un peu éplorée ». « Je lui ai répondu aussitôt…pour le tranquilliser et je lui ai donné rendez vous pour le mardi 20 courant (Septembre) » Et il écrit à Odile « Je comprends bien que la rencontre avec Bernard Madelin vous ait un peu remuée. Mais la première émotion passée, il ne faut plus rester indécise, ni pour vous, ni pour lui….Les raisons que vous me donnez ma très chère enfant pour expliquer votre indécision n’ont pas grande valeur. Vous le sentez vous-même. Au fond…vous aviez peur de vivre. Et la vie s’ouvre devant vous de bien bonne heure. C’est vrai. Mais quand la route est si facilement tracée ; quand pour s’appuyer et se reposer des fatigues du chemin, la jeune fille trouve de par la Providence un homme bon, tendre, et chrétien comme l’est B.M. il n’y a plus place pour l’hésitation. Il faut accepter et dire un Oui joyeux et tranquille. J’ai bien pesé ce que je vous écris ; en le faisant je crois travailler à votre bonheur et à la gloire de Dieu. Vous avez cessé d’être enfant. Il faut prendre vos responsabilités de jeune fille et carrément, à la française orienter votre existence. La vie ne m’appartient pas, faites en un service de Dieu en fondant une nouvelle famille. Et la fonder avec Bernard me semble inaugurer toute une vie de bonheur et d’utilité. Que Dieu vous inspire. Courage ma chère enfant. »

L’attente se dénoue et le 22 Septembre 1921 l’abbé écrit à Emily ; « C’est entendu venez me voir demain Vendredi. Mais déjà je me réjouis du projet enfin réalisé. C’est du bon travail pour la gloire de Dieu » On peut penser que toute une maturation a été nécessaire pour cette très jeune fille qui depuis des années a vécu auprès de sa mère, non pas une vie fermée, mais une vie qui les a obligées à se concentrer sur elles mêmes. En outre Odile devait beaucoup idéaliser. Et de son côté cela a du être une épreuve pour Bernard qui n’a pu qu’apprécier les scrupules d’Odile, sa délicatesse, sa pureté, sa foi. Autant de raisons qui ne pouvaient que le pousser à tenir à épouser Odile.

Le 19 septembre le frère d’Odile, François écrivait d’Allemagne « Maman me dit que tu es presque décidée pour Bernard. J’en suis bien content pour toi, car je crois que tu trouverais difficilement mieux, et pour lui, car je me mettais à sa place »

 Le 21 Septembre le père d’Odile lui écrit de Sarrebourg : « Ma bonne fille chérie, laisse moi te dire tout le plaisir que tu m’as fait en m’annonçant la grande décision que tu as prise. Cette décision, sans parler des sentiments était bien la plus sage. J’ai étudié soigneusement Bernard pendant notre séjour à Quiberon et c’est bien celui que j’aurai voulu comme gendre. Tu me le donnes je t’en remercie… »

Le 25 Septembre 1921 c’est l’accueil de la grand-mère Madelin:  « Le Bon Dieu bénit donc ta vertueuse jeunesse et ta fidélité à son Service par le don exquis d’une compagne aimante et aimée dont les précieuses qualités seront le soutien de ta vie et dont les attraits en feront le charme… »

Les Fiançailles

Des fiançailles sont annoncées par un petit carton du Général Madelin daté du 1er Novembre 1921 à Chambéry. Les projets ont commencé sans doute à se préparer auxquels le Général Madelin a du veiller de près, tant il avait d’affection pour son fils. Il était déjà heureux de le voir officier, pour le moment Sous Lieutenant à l’Ecole d’application de Cavalerie. Le Lt Colonel Delafon était maintenant en garnison à Sarrebourg, ou du moins y a-t-il installé sa famille puisque des éléments du régiment sont en zone d’occupation. C’est donc aussi à Sarrebourg que le mariage aura lieu. 

La Bague

Pour ses fiançailles Bernard a remis à Odile,  une bague de fiançailles qui a appartenu à sa mère tant aimée. Il lui exprime son amour avec ces mots  " c’est vous qui la remplacerez et qui me donnerez cette affection féminine dont tout homme qui a du coeur a besoin et qui m’a tant manquée".

La grand-mère Odile a souhaité, qu'après son décès, Catherine Colin reçoive cette bague qu'elle porte chaque jour. Elle lui a été remise par Jean Madelin, son fils.
La bague de fiançailles

Les préparatifs du mariage

Mais pendant ce temps d’attente, Bernard entré donc à l’Ecole d’application de Cavalerie à Saumur va manifester beaucoup d’impatience, une impatience qui s’exprime plus facilement par lettres que dans des rencontres, il le reconnaît. Les fiancés s’écrivent beaucoup. Il en reste quelques témoignages qu’Odile a précieusement gardés, en éliminant naturellement beaucoup d’autres. On sent Bernard passionnément amoureux. A sa façon Odile l’est aussi, avec une grande simplicité que Bernard apprécie, avec aussi quelques moments de 
« noir ».

Du Vésinet ( résidence de guerre de la famille Madelin) le 2 Octobre 1921 Bernard raconte : « Je pars ce soir pour Saumur et ce serait trop long pour moi d’attendre une lettre de vous là bas…Vous allez finir par me trouver expansif, mais je suis tellement heureux de vous aimer que j’ai besoin de vous le redire encore….J’ai été chez Madame Aubry et j’ai été désolé de ne pas la trouver, et comme je n’avais pas de cartes de visite, je demande à la concierge si elle se rappellera mon nom, elle me réponds : Oh je vous connais bien allez, je sais bien qui vous êtes ! Ca m’a fait beaucoup de plaisir de me sentir un peu de la maison déjà mais j’aurais bien voulu voir Madame Aubry, car je lui ai une grande reconnaissance pour la bonté avec laquelle elle m’a reçue les jours derniers. Toute la famille Louis Madelin nous est débarquée hier soir, et naturellement j’ai été assailli de questions sur votre compte. On brûle de vous connaître et j’ai été heureux de pouvoir parler de vous et de pouvoir dire combien vous êtres gentille et adorable. Mais il faut absolument que vous veniez à Paris cet hiver, car tout le monde veut vous voir et vous connaître. Il parait qu’à La Pichardière c’est du délire. On vous aime déjà beaucoup d’après les descriptions enthousiastes de mon frère et des gens qui vous connaissent, mais ça ne suffit à mes grand-mère, oncles et tantes, cousins et cousines qui veulent vous connaître, vos contemporaines en particulier. Béatrice Louis Madelin et Jeanne Zeller réclament à cors et à cris vous ou tout au moins votre portrait. J’ai déjà pu montrer à Béatrice le portrait (si petit) que j’ai de vous et elle en est enchantée. Comme c’était elle ma danseuse attitrée à Paris, cet hiver, elle me charge de vous dire qu’elle vous est très reconnaissante que vous ne m’ayez pas défendu de danser… »

« J’ai annoncé avec joie à mon peloton l’heureuse nouvelle de nos fiançailles. J’ai naturellement été couvert de félicitations. Jean de Bellecombe a été absolument sidéré et ne se doutait de rien du tout. De Broglie m’a dit très bien se rappeler de vous et surtout de votre frère François. Quant aux autres j’espère qu’ils pourront vous connaître un de ces jours et juger de l’heureux bonheur qui m’échoit. Continuez à monter à cheval. C’est si agréable, cela fait tant de bien, je ne sais si vous êtes comme moi, mais quand j’ai le cafard, de monter à cheval cela me le fait presque passer, je m’en suis beaucoup aperçu cet été à St Cyr où cela m’arrivait si souvent d’avoir des idées noires ; jouez au tennis, promenez vous et …pensez un petit peu à moi. »

Le 15 Octobre : « …J’ai été ravi de recevoir de vos nouvelles car je commençais à être désespéré, pas encore au point de regarder la Loire d’un air tentateur soyez tranquille, mais j’avais un sombre cafard. Enfin votre lettre me remet du baume dans le cœur, vous me dîtes si simplement tout, que j’adore vos lettres. C’est bien mieux que des grandes phrases…Je voudrais être encore plus près et pouvoir aller vous dire plus souvent combien je vous aime et vous rassurer dans vos petites peurs sans gravité d’ailleurs. Vous me demandez aujourd’hui si c’est utile que de se marier. Je crois pouvoir vous affirmer que oui, puisque vous serez mon soutien, et vous savez on a bien souvent besoin d’un soutien. Puis le mariage, c’est presque un dogme, cela a été créé par Dieu et j’estime que c’est un devoir de fonder un foyer. Vous allez me dire que je suis partial et que c’est par ce que j’ai envie de me marier que je vous dis cela. Mais croyez le c’est là chez moi une conviction profonde et je m’en voudrais de ne pas vous le dire…Mais assez de philosophie… » Odile est en relations avec Laure qui est pour Bernard la grande sœur : « Savez vous que vous avez de la chance de recevoir une lettre de Laure. Ca ne m’arrive pas souvent, et c’est dommage par ce qu’elles sont toujours très bien, mais il faut que je fasse mon mea culpa : c’est peut être par ce que je ne lui écris pas bien souvent ».

La date des fiançailles officielles approche et Bernard écrit le 19 Octobre : « Mon pied est tout à fait remis..Et depuis, cheval toujours, environ 3 heures par jour souvent plus. Depuis Lundi les étriers ont disparu des chevaux de manège et de carrière, je ne m’en suis pas encore mal trouvé jusqu’ici, mais cela viendra peut être, car il y a quelques bons sauteurs dans nos reprises qui s’amusent de temps en temps à se secouer un peu..Je pense toujours très souvent à vous et je prie beaucoup pour vous, mais cela me rend très triste de penser qu’il va me falloir de longs mois avant de vous avoir tout à fait, je serai si heureux le jour où nous serons unis, c’est si beau, et quand je pense à cela les mots ne viennent plus sous ma plume…Savez vous que d’après des gens bien informés et instruits par l’expérience, la vie de jeune ménage est très agréable à Saumur et surtout en été parait il !...Mais c’est toujours votre pauvre Maman à qui je pense bien souvent qui met un frein à mon ardeur si j’ose m’exprimer ainsi, mais hélas je crois que c’est la destinée de toutes les jeunes filles de partir un jour…J’ai d’excellentes nouvelles de Chambéry par papa et par Laure qui m’a écrit…J’ai reçu aussi une dépêche de félicitations de mon frère François au moment où il remet le pied sur la terre de France à Toulon. J’ai été très touché par la pensée qu’il a eu de m’envoyer un télégramme Je suis désolé que votre frère ne soit pas là à La Toussaint, car j’aurais été heureux de pouvoir reprendre contact avec lui. Enfin je me consolerai avec vous et je me réjouis beaucoup de ce voyage. J’ai l’intention de vous remettre à Sarrebourg le gage de nos promesses, je veux dire la bague de fiançailles sans laquelle il n’y a pas de vraies fiançailles. Je suis très heureux que vous acceptiez la bague de ma mère, car je vous l’ai déjà dit, c’est vous qui la remplacerez et qui me donnerez cette affection féminine dont tout homme qui a du coeur a besoin et qui m’a tant manquée. Je pense que vous ne verrez pas d’inconvénients à ce que je vous remette ce précieux gage à la Toussaint… »

Le 23 Octobre, la date des fiançailles approche : "…La journée ne m’a pas paru trop longue ; Quoique Saumur ne soit pas drôle pour un garçon le Dimanche, mais je l’ai commencée très tard et je l’ai beaucoup occupée. Enfin Dimanche prochain elle sera encore plus belle puisque je serai près de vous et alors, ma chère Odile, je trouverai certainement le temps bien court ! Néanmoins je me réjouis beaucoup de cette apparition à votre cher foyer… » Bernard raconte sa journée, messe dite des officiers, rencontre du Lieutenant et Madame Chomette, connus à Chambéry, visite du musée du cheval au Château de Saumur. Et enfin thé. « J’ai été prendre le thé chez le jeune ménage de ma promotion, chez mon camarade Catoire, marié depuis deux mois. Il a une femme charmante et très aimable, qui m’a déclaré que je devrais bien me marier le plus tôt possible, car elle a très peu de relations ici et serait ravie de n’être pas la seule jeune femme de ma brigade. Je vous transmets son opinion, elle trouve que c’est très agréable d’être mariée et à Saumur… "

Bernard a reçu une longue et très gentille lettre de son frère François qui vient d’arriver à Toulon. François a joué un rôle particulier à cause de la proximité d’âge et donc d’éducation. Il se réjouit de voir entrer dans la famille une jeune fille aussi faite pour penser comme nous, « et tu peux l’assurer que dans cette famille si unie qu’est la nôtre nous lui ferons la place d’une nouvelle sœur. »

La lettre du 24 Octobre commence par une description de la journée à Saumur :

« J’ai froid aux mains, car hélas il fait presque froid. Je suis à cheval à peu près depuis 6 heures 30 ce matin. Parti à cette heure pour un service en campagne très frisquet, nous ne sommes rentrés que juste pour déjeuner à 11 heures. Le temps de bondir au mess et d’avaler son déjeuner, de venir se nettoyer un peu, lire votre lettre et à 12 heures 30 je rebondissais sur un lion, car les chevaux de manège et de dressage sont toujours des lions le Lundi par ce qu’ils mangent beaucoup d’avoine et n’ont pas travaillé depuis le Samedi matin. A 1 heure et demi pied à terre et 2e cheval sauvage toujours exempt d’étrier. A 3 heures pied à terre et à 3 heures et quart à cheval pour me rendre à un exercice de topographie. Nous avons fait là une arrivée très digne. Nous avions rendez vous à Terrefort, lieu connu et peu béni des élèves de Saumur, les uns vinrent en fiacre, d’autres à bicyclette, les autres à cheval, il y avait même une auto…On aurait dit un rendez vous de chasse. Tout ceci nous a mené jusqu’à 5 heures et demi, heure à laquelle je viens de mettre pied à terre et enfin libre pour vous envoyer tant de choses….Votre lettre de ce matin m’a beaucoup intéressée, mais me mets la mort dans l’âme à la pensée que j’ai bien peu d’espoir maintenant de vous avoir un peu ici, et qu’il va me falloir encore attendre de longs mois, j’en suis désolé, je tâcherai de prendre patience…mais laissez moi espérer que l’année de votre docteur se réduira à 10 mois et que dès ma sortie de Saumur vous accepterez notre union. Je maudis votre docteur, mais enfin je me console un peu en pensant que c’est pour votre bien, mais soignez vous…N’ayant pas d’indicateur sous la main, je ne puis vous fixer l’heure exacte de mon arrivée à Sarrebourg, mais ce sera vraisemblablement dans la matinée de Dimanche…J’ai reçu ce matin une lettre très affectueuse de votre frère qui m’a fait beaucoup de plaisir. Je regrette de ne pas le rencontrer à la Toussaint, car je l’aurais revu avec beaucoup de plaisir, je crois que nous nous entendrons très bien tous les deux, comme deux frères….J’ai pensé plusieurs fois aujourd’hui que Lundi prochain je serais près de vous et cela me remplit de joie. Je vais pouvoir vous revoir enfin et avoir avec vous de ces bonnes conversations. Je repense bien souvent à Quiberon, vous savez et aux bons jours que nous avons passé à l’hôtel Penthièvre et où vous avez su en deux jours transformer un amour normal en adoration, par votre simplicité à vous ouvrir si gentiment à moi et à vous montrer sous un jour que je connaissais peu de vous, et maintenant je vous aime de plus en plus »

Le 28 Octobre Bernard se prépare à partir pour Sarrebourg
« J’attends avec impatience le moment de vous revoir et de pouvoir vous redire combien je suis heureux près de vous. Enfin je prends le train demain à 2 heures et après demain nous serons ensemble. Merci de penser à me donner les heures de messes, cela me sera très commode… »

Le retour à Saumur s’avère un peu difficile. Le 13 Novembre Bernard écrit :

« Aujourd’hui votre lettre m’a un peu préoccupé, mais pas alarmé et je veux vous redire encore que je ne vous en veux pas, qu’il est presque naturel qu’un tel événement que votre mariage vous énerve beaucoup, surtout quand on est droite et sérieuse comme vous et que l’on ne veut pas se donner à moitié. Aussi soyez sûre que je comprends vos sentiments et que je vous écris ce soir pour hâter votre guérison, relevez vous de ce vilain noir, rappelez vous des heureux moments que nous avons déjà passés ensemble…Si vous le pouvez, montez à cheval, vous verrez comme cela vous fera du bien moralement, moi c’est devenu mon grand remède …Du courage Odile, je tâche de vous donner le plus possible de celui que vous m’avez fait acquérir. Je veux que vous soyez heureuse, plus de tristesse. Dîtes encore à votre maman combien je l’aime. Je ne suis pas encore assez calé pour lui écrire ce qu’il faudrait pour lui faire du bien, mais je pense bien souvent à elle, que le Bon Dieu qui fait de si belles choses l’aide beaucoup, je prie beaucoup pour cela. »

Une nouvelle permission s’annonce pour la fin du mois de Novembre.

« J’arriverai à Sarrebourg Samedi à 16 heures 10, je me réjouis beaucoup de cette occasion qui nous sera donnée de nous revoir encore…Nous n’aurons pas de temps à perdre, car je repartirai Dimanche à 14 heures, mais ne vous verrais je qu’une heure, cela me ferait plaisir….J’ai de bonnes nouvelles de Chambéry par mon Père et par François. J’attends la visite de ce jeune marin Lundi prochain. Il me parait toujours aussi turbulent…Je me réjouis beaucoup de me rencontrer avec votre frère à Sarrebourg… »

Le 25 janvier une lettre d’Odile raconte sa vie à Sarrebourg et parle de son projet de voyage à Paris pour une tournée de famille :

« Vite un petit mot en courant, mon cher ami pour vous gronder de m’avoir écrit dans une petite enveloppe, de vous être fait mettre aux arrêts et pour vous dire que votre lettre m’a ravie, enchantée et que je vous aime de tout mon cœur. Papa est à Strasbourg aujourd’hui et je suis seule. J’ai mal à la gorge, je sens que je vais être enrhumée ( je vois que cela vous est tout à fait égal que je le sois à Sarrebourg, pourvu que je ne le sois pas à Paris, vilain égoïste) mais je sors tout de même. Il y a cependant un verglas à se casser bras et jambes. Ce matin j’ai été voir de vieux meubles car je commence à m’inquiéter de cela, mais je n’ai rien trouvé aujourd’hui. J’y retournerai d’ici quelques jours, il y aura autre chose. C’est que je suis très difficile pour les meubles et je n’aime presque que les vieilles choses. Hier soir nous avons répété notre comédie, c’était très amusant. Comme acteurs il y a les Clermont, Chapuis, de Kers, de la Batie, Mme Fournier et moi. Je peux vous parler des gens d’ici maintenant puisque vous les connaissez, cela m’est beaucoup plus commode. Après nous avons dansé jusqu’à minuit, cela nous a réchauffés car il faisait terriblement froid…Je crois que j’attendrai à Paris pour me faire photographier, cela sera mieux…Je ne voulais vous écrire qu’un tout petit mot et je vous en écris quatre pages…Cela vient probablement de ce que je suis très bavarde avec les gens que je connais bien, les autres je ne sais rien leur dire…. »

La rencontre à Paris se réalise quelques temps après et l’on peut penser que ce Dimanche a été un peu étourdissant, comme toute tournée de famille avec des personnes encore inconnues.

« ..Dimanche soir j’étais fatiguée et énervée comme tout, et je revoyais en dormant les figures de toutes les personnes que j’avais vues dans la journée ce qui n’était pas agréable. Pourtant somme toute cela a été une journée bien employée, mais ce qui m’avait agacée c’était de n’avoir pu causer avec vous et cela m’avait mise de mauvaise humeur contre tout le monde. Hier et aujourd’hui j’ai déjeuné et dîné chez mes cousins Aubry, Delafon et Gilles et je peux bien vous dire que vous leur avez énormément plu, ce dont j’étais ravie. Le soir après avoir fait quelques courses je suis rentrée dîner avec ma grand-mère (Delafon) et j’ai passé avec elle une bonne soirée bien tranquille. Je n’ai pas pu aller faire visite à votre tante Louis (Madelin). Je l’ai bien regretté mais c’est loin et j’étais un peu fatiguée…J’ai été bien contente de faire un peu connaissance avec les vôtres, mais cela a été tellement rapide que j’en étais un peu étourdie… »

Le 5 avril Odile donne son accord pour un projet de voyage ensemble à Chambéry à l’occasion de Pâques.

« Je vous dis tout de suite que votre projet nous parait très bien. Je mets nous, car naturellement j’en ai parlé tout de suite à Maman. Cela lui est égal de rester seule le jour de Pâques. Vous savez pour le lui avoir entendu dire qu’elle ne fait pas très attention aux jours de fêtes et pour moi cela m’ennuiera un peu mais c’est plutôt d’être séparée que de n’être pas là ce jour là. Deuxièmement nous aurons ainsi l’avantage de n’être pas obligés d’accepter toutes les invitations de la semaine de Pâques. Et enfin nous jouirons beaucoup plus de notre tranquillité après avoir fait ce que nous devons en allant à Chambéry et nous reviendrons tranquillement ensemble. A part cela je serai très contente de voir tous les vôtres et je tâcherai d’être le plus aimable possible avec Madame Madelin. Votre projet me plait infiniment et m’ôte un gros poids de sur le cœur, je vous assure…Arrivée à Strasbourg à cinq heures et demie je suis venue déposer mon sac chez madame Baudry. Ensuite j’ai été dîner chez Madame Zeller où j’ai eu le plaisir de faire la connaissance de votre cousine Marie Madelin (veuve de Léon Madelin) qui a l’air tout à fait charmante. Elle a l’air très douce, je trouve qu’elle a un grand air de ressemblance avec Laure. Nous sommes parties toutes ensemble après le dîner pour le Palais des Fêtes où nous avons entendu un très beau concert, j’en étais ravie. Jeanne (plus tard Lombart) m’a bien amusée, elle m’a fait toutes sortes de questions auxquelles j’ai plus ou moins répondu mais qui m’ont bien fait rire….Le lendemain j’ai été à mon cours de Littérature à l’université et me voilà vous écrivant. Strasbourg est exquis ce matin. Il fait un petit temps frais, du soleil et c’est bien bon. J’adore Strasbourg, c’est une ville exquise, j’y jouis de tout et par tous les temps, c’est une ville qui est jolie par tous les temps, même par brume ou brouillard. Vous voyez que mon noir n’a pas tenu, en tous cas quand il revient je fais ce que je peux pour l’envoyer promener… »

Le 10 Juin une carte envoyée du camp de Mailly avant de repartir pour Saumur

Le 10 Juin une carte d’Orléans, postée en gare des Aubrais…

Le 5 Septembre Bernard écrit les derniers préparatifs du mariage. Il semble que l’on veuille faire appel à un prêtre religieux pour recevoir les consentements « Je vous écris au retour d’un long voyage à Noisy le Sec. J’ai vu le Père Flieger qui demeure au diable vert ! en pleine campagne et quelle campagne !! à une demi heure de toute gare et de tout tramway. Enfin je l’ai vu, c’est l’essentiel, mais ce n’est pas encore définitif…puisqu’il n’a pas encore la réponse de son Père provincial Enfin il a reçu votre lettre et a écrit à ce vénérable père dont il espère bien avoir l’autorisation, et s’il l’a nous pouvons compter sur lui, il doit me l’écrire à Sarrebourg. Si vous connaissez suffisamment son écriture vous pouvez ouvrir sa lettre…J’ai causé avec le Père Flieger pendant trois quarts d’heure et j’ai pu lui donner des éclaircissements sur nos familles, pour qu’il puisse en dire deux mots. Il m’a d’ailleurs dit qu’il ne comptait pas parler trop longuement (tant mieux !) et de lui-même il m’a demandé que ce soit le curé de Sarrebourg qui dise la messe, cela s’arrange donc très bien, pourvu qu’il ait son autorisation !! . Papa doit arriver ce soir ou demain (au Vésinet). Je tâcherai donc de repartir jeudi soir pour être à Sarrebourg Vendredi matin, mais n’y comptez pas trop, car j’ai des quantités de choses à régler avec lui et je ne sais pas si deux jours seront suffisants. Enfin ne désespérez pas, Samedi matin je serai là pour entamer avec vous notre dernière semaine de célibataires. Votre lettre d’hier m’a fait beaucoup de plaisir, vous savez très bien combien je comprends que vous ayez une sorte de tristesse en quittant quelque chose. Pour nous les hommes ce n’est pas du tout la même chose, car au moment du mariage, il y a généralement longtemps que nous avons quitté parents, foyers, etc...et c’est au contraire un retour aux bonnes choses que nous trouvons dans le mariage. Mais je me rends très bien compte combien pour vous c’est un changement de vie, et une vie si nouvelle, et j’espère bien arriver à vous rendre cette vie nouvelle la plus agréable possible et vous amener petit à petit à ne rien regretter…Et puis, puisque grâce à vous, car c’est pour vous que j’ai travaillé cette année, j’ai pu choisir une garnison qui n’est pas loin de vos parents, tout n’est pas fini et le voisinage ne sera pas difficile ! et je suis sûr que votre Maman sera très courageuse et nous l’aiderons en l’aimant beaucoup. Je vais maintenant à Villeneuve le Roi voir votre grand-mère (Delafon) et lui dire tous nos regrets de ne pas l’avoir le 16 à Sarrebourg, en tous cas je lui dirai que nous irons l’embrasser en revenant….Laure a été très touchée du passage de votre lettre la concernant, je lui ai montré (pas la lettre, le passage). Elle vous en remercie beaucoup et à cela elle m’a répondu : Odile je l’adore !... (Mais pas tant que moi)…Ne me renvoyez plus de lettre, j’arrive !! »

Une dernière lettre du 6 Septembre datée du Vésinet nous montre un Bernard très énervé par les derniers préparatifs, les questions de lunch, de demoiselles d’honneur, de cadeaux, et probablement de nombreux petits détails que ses parents veulent régler avec lui. Alors il est très impatient …

Le mariage

Le faire part de mariage mentionne uniquement la famille de Bernard. Dans certaines familles aisées, le faire part était double avec une partie mentionnant la famille de l'époux (ce document en témoigne) et l'autre partie mentionnant la famille de l'épouse.

Texte du faire part.
Madame Amédée Madelin, 
Madame Raoul de Sainte Marie,  Madame
 Paul Clavery, le Général Madelin, 
Commandant supérieur de la défense 
de Savoie, Officier de la Légion d'Honneur, 
Croix de guerre et Madame René Madelin,
 ont l'honneur de vous faire part du mariage 
de Monsieur Bernard Madelin, Lieutenant
 aux Dragons, Croix de Guerre, leur petit-fils 
et fils, avec Mademoiselle Odile Delafon. 
La bénédiction nuptiale leur a été donnée le Samedi 16 Septembre 1922 en
 l'Eglise paroissiale de Sarrebourg. 
Chambéry Hôtel du Commandement Supérieur de Savoie.

Faire part de mariage Delafon - Madelin

Le mariage a été célébré civilement à la Mairie de Sarrebourg  le 15 Septembre 1922. Le mariage religieux a eu lieu le 16 septembre 1922 en l’église St Barthélemy de Sarrebourg


             Mariage Odile Delafon et Bernard Madelin - 1922 - Sarrebourg

Des photos nous montrent les nouveaux mariés à la sortie de l’église, Odile le regard un peu perdu, mais souriante et Bernard avec une belle prestance dans sa grande tenue. Ils vont partir en voyage de noces à Guethary au Pays basque.

L'accueil chaleureux des Familles

Emily Delafon écrit à sa fille Odile le 20 Septembre, la première d’innombrables lettres qui montrent l’attachement réciproque qui était le leur. Après un récit de petit voyage à Strasbourg après le mariage, elle écrit à Odile en voyage de noces à Guéthary (il y a des photos) : « J’espère que vous avez meilleur temps que nous. Mr Serait que nous avons vu hier et qui connaît Guéthary, nous a beaucoup vanté Thalassa ; Il parait que c’est fort bien, mais que le vôtre est bien aussi. C’est une dame fort bien qui tient Thalassa. Ne t’inquiète pas pour moi. Je vais très bien mon bon chéri et jouis bien de ce moment de repos et de bonheur que tu goûtes j’en suis sûre, pleinement auprès de ton cher Bernard. Dis lui qu’il peut compter sur moi, comme sur une mère très chère et qu’il a depuis longtemps une grande place dans mon cœur »

L’accueil d’Odile dans la famille Madelin est très chaleureux, témoin ces lignes de François du 13 Septembre à Port Saïd « Je reçois ici la lettre trop hâtive annonciatrice de votre bonheur et je vous remercie bien de m’y associer tous les deux. Ainsi mon vieux Bernard après avoir vécu tout le temps ensemble, après avoir partagé la même existence et vécu le plus souvent comme deux jumeaux, voilà que je ne serai pas là pour partager ta joie…Je vous répète aussi ici combien je suis heureux de voir rentrer dans notre famille une aussi charmante belle sœur et combien nous vous y ferons une belle place. Mais je ne sais pas bien vous dire cela, je suis sûr que Laure avec tout son cœur vous l’aura fait comprendre en notre nom … »

La vie d'Odile et de Bernard réservera bien des surprises.







Louis Madelin, Académicien : point de vue sur la généalogie en 1912


Louis Madelin, Académicien :  point de vue sur la généalogie en 1912



Extrait d'un très beau texte de Louis Madelin 
sur le clocher de Neuville aux bois

Louis Emile Marie Madelin, né le 8 mai 1871 à Neufchâteau dans les Vosges, a été élu en 1927 élu à l'Académie française. Député des Vosges, Docteur es Lettres, Historien, il a écrit de nombreux ouvrages de référence. C'est le frère de René Madelin Sosa 12, mon arrière grand-père, le fils de Amédée Madelin Sosa 24 et de Marie Félicité Bonnet Sosa 25.

En 1912, il écrivait dans le journal de la Pichardière, dans lequel les hôtes de cette maison familiale située à Neuville aux bois dans le Loiret, se sont exprimés pendant 60 ans :   
La Pichardière
Louis Madelin, dans cet extrait, évoque la généologie. Son texte est touchant. Je suis heureuse de partager avec vous les écrits de mon illustre ancêtre.

"...Je plains beaucoup et bien sincèrement les familles qui sont dans l’impossibilité de retrouver leurs racines. 

J’entends qu’on peut conserver des généalogies. Mais que cela est sec ! 

Si vous ne situez pas ces aïeux dans le décor où ils sont nés, où ils ont grandi, souffert, aimé, travaillé, prié, où ils ont vieilli et où ils sont morts ; 

Si vous ne les pouvez évoquer dans les champs, les bois, les maisons, les églises, les foyers, sous le ciel qui ne change pas, alors que tout change, vos généalogies sont des papiers bons à classer dans les cartonniers ;

Nous, nous avons une meilleure fortune que la plupart de ceux mêmes qui gardent la mémoire des bisaïeux et tris aïeux : chaque pierre, chaque arbre un peu vénérable et jusqu’à certaines mottes de terre nous rendent ces ancêtres présents malgré nous. 

Ceux dont nous connaissons les noms furent hommes de loi, presque tous soldats.

Mais il est impossible que leurs ancêtres n’aient pas été des vilains, des serfs attachés à la glèbe
Et c’est là, si paradoxale que paraisse cette affirmation, qu’est la vraie noblesse. 

Ce mot « serf attaché à la glèbe » dont les instituteurs modern style veulent faire un ferment de révolte dans le cœur de leurs élèves, je le trouve si beau. 

Il faut croire qu’ils y étaient attachés par autre chose que la contrainte puisque, libérés il y a longtemps, ils y sont restés attachés par l’amour.

Nous avons beau travailler à servir la patrie et à illustrer, dans la mesure de nos moyens, la famille à laquelle nous avons le bonheur d’appartenir, nous ne ferons jamais tant pour la France que ceux qui l’ont faite et pour la famille que ceux qui l’ont constituée. 

C’est à eux que je pense souvent et comme leurs tombes ont disparu et qu’aucun monument ne les rappelle, j’ai élu le clocher de Neuville comme leur monument. (...)"

Clocher de Neuville aux bois
Loiret

François Boilletot, annobli en 1816


Les ancêtres BOILLETOT de BEMONT

Catherine Colin m'a demandé d'entreprendre des recherches sur son arrière grand-mère,  Antoinette Eugènie Marguerite Emilie BOILLETOT de BEMONT, Sosa 15 (arbre généalogique Colin-Madelin accessible à partir de ce blog). Elle est née le 16 novembre 1875 à Paris. Ses parents sont  Anatole François Xavier BOILLETOT de BEMONT, Sosa 30,  né en 1838 à Mirecourt dans les Vosges, Licencié en droit, Receveur municipal de la commune d'Aillant sur Tholon dans l'Yonne (Bourgogne) et Marie Louise Nina DELEAU, sosa 31,  née en 1846. Le père d'Anatole s'appelle Louis Antoine BOILLETOT de BEMONT, Sosa 60, né le 25 novembre 1807 à Rupt en Haute Marne. Remontant le fil de mes ancêtres, on découvre que le grand-père d'Anatole (sosa 120)  porte à sa naissance, le nom de BOILLETOT, prénoms François Marie,  né à Langres en Haute Marne le 26 mai 1775.
La question qui est posée est-celle-ci : pourquoi l'ajout de de BEMONT au nom BOILLETOT, et à quelle date cet évènement s'est-il produit ?


Les ascendants d'Antoinette Eugénie Marguerite Emilie BOILLETOT de BEMONT, mon arrière Grand-mère
 ( extrait de mon arbre généalogique geneanet)

L'anoblissement de François Marie BOILLETOT par Louis XVIII

Il faut intensifier les recherches.  Nous savons qu'il est  Commandant de gendarmerie en Côte d'or . Il  épouse Louise SIMON. En saisissant sur google le nom BOILLETOT de BEMONT  et grâce à Googgle Books, nous retrouvons la trace d'une ordonnance N° 2725  du Roi Louis ( il s'agit de Louis XVIII)  datée du 3 septembre 1817,  qui permet au Sieur François- Marie BOILLETOT, Capitaine commandant de gendarmerie du département de la Côte d'or, Ecuyer, Chevalier de Saint louis,  d'ajouter à son nom celui de BEMONT et de s'appeler BOILLETOT de BEMONT.


Extrait Ordonnance du Roi n°2725 du 03/09/1817


Pendant cette période de la "Restauration" ce sont 195 familles qui seront anoblies.

Dans son acte de naissance numérisé, il est noté, en marge,  qu'il a été anobli par le tribunal civil en date du 12 septembre 1823. Se pose comme question encore non élucidée, de la raison du choix de BEMONT.

Acte de naissance de François Marie BOILLETOT - 26/05/1775 à Langres - Haute Marne

François Marie BOILLETOT de BEMONT, Chevalier de Saint Louis

Dans son acte de décès, il est noté que François Marie est Chevalier de Saint Louis et Membre de la Légion d'Honneur. Je cherche à en savoir plus sur ces Chevaliers de Saint louis qui semblent être la clé de son anoblissement par décision royale.

Acte de décès de François Marie Boilletot de Bémont 25/06/1832 à Bar le Duc - Meuse
Il s'agit d'un ordre militaire créé sous la restauration. L'ordre royal et militaire a été créé le 5 avril 1693 par Louis XIV, en vue de galvaniser les officiers nobles et roturiers qui combattaient les armées européennes coalisées au sein de la ligue d'Aubsbourg. Les seuls titres exigés du futur chevalier étaient sa vaillance assortie d'une durée de services de dix ans. En 1750, Louis XV édicta qu'un Chevalier de Saint Louis pouvait être anobli dès lors qu'il comptait deux ascendants en ligne directe décorés de même. Est-ce la cas ? Son père était Procureur du baillage de Langres et Avocat au parlement. Son grand-père, Quentin Boilletot était Notaire Royal. On peut supposer que les conditions étaient réunies pour déposer une demande d'annoblissement. Toutefois aucune information, à ce jour, sur leurs appartenances à l'Ordre royal de Saint Louis. 



Par contre, grâce à Gallica, le site en ligne de la BNF, on peut ouvrir le dictionnaire des familles françaises dans lequel est mentionné en  page 40 "BOILLETOT de BEMONT. Armes : d'azur à un lévrier courant d'or, accolé de gueules, posé en bande, accompagné de deux épées d'argent montées d'or, l'une et l'autre posées en barre et les pointes opposées. L'auteur de cette famille, François BOILLETOT, né à langres le 26 mai 1775, fils d'un avocat en Parlement, marié le 8 février 1807 à Louise SIMON de BESMONT, était capitaine de gendarmerie quand il fut annobli le 12 novembre1816 par lettes patentes du roi Louis XVIII. Il fut autorisé le 3 septembre 1815 par ordonnance du même prince, à joindre son nom à celui DE BEMONT qui appartenait à la famille de sa femme. Il mourut à Joinville le 24 juin 1832 laissant postérité".
On peut remarquer que l'on passe allègrement de l'orthographe BESMONT à BEMONT.. Pas encore trouvé de traces sur cette Louise SIMON de BEMONT ou de BESMONT. De nouveaux objectifs de recherche en perspective !

Catherine Colin se souvient que sa grand-mère, Odile DELAFON-MADELIN portait une chevalière en or, à son auriculaire, sur laquelle étaient gravées les armes de sa famille maternelle. 

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